Autour de l’Abbaye de Bonnefont

Autour de l'Abbaye de Bonnefont

« Il ne scet rien qui ne va hors » *

Comme la manifestation du Printemps de Septembre à Toulouse (prochaine édition du 17 septembre au 17 octobre 2021) nous avons eu aussi notre belle saison ce dimanche. Pas moins de dix nouveaux cémécistes, dont un couple avec deux adolescentes, se sont présentés au rendez-vous habituel.

Philippe avait programmé une boucle intitulée : « Autour de l’Abbaye de Bonnefont (1136) ». Quinze participant(es) dans quatre voitures se dirigent vers Proupiary, village situé près de Saint-Martory, à une heure de Colomiers.

Pourquoi aller loin, très loin, nous devons, de temps à autre, en paraphrasant Nietzsche : redevenir de bons voisins (marcheurs) des choses (balades) les plus proches.

Nous allons parcourir dans les petites Pyrénées en Comminges une quinzaine de kilomètres et avaler un dénivelé cumulé d’environ 370 mètres. Altitude du point le plus bas : 314 mètres et 470 mètres pour le sommet. La météo est au beau fixe, pas d’orages de prévus. 

Aucun problème pour trouver notre chemin au début comme tout au long du circuit, le balisage est parfait et récent. Christine et Éric, nos accompagnants du jour, en profitent pour initier les nouveaux à l’art de la lecture des balises et la vérification sur les cartes.

Dès le départ, nous descendons en empruntant le chemin de Nankin. Certaines parties sont bordées de superbes murets montés en pierres sèches. Bravo les anciens « muraillers », du bel ouvrage qui tient encore malgré les années. Après le passage du hameau de Chourelle, nous nous dirigeons vers la grange cistercienne de Peyrère. Cette imposante bâtisse est le dernier élément ayant échappé au dépeçage de l’abbaye, au XIXe siècle, avec le bâtiment des convers.

Encore quelques hectomètres et les restes de l’abbaye de Bonnefont apparaissent. Des panneaux d’interprétations nous expliquent la vie mouvementée de ce splendide monument mère. Fondée par des moines cisterciens, l’abbaye a prospéré en essaimant et en créant de nouvelles abbayes : Abbaye de Villelongue, Abbaye de Boulbonne, Abbaye de Pérignac, Abbaye de Nizors entre autres… Nous restons un bon moment sur sa vaste emprise et petit à petit le silence, l’ambiance mystique du lieu apportent une déprise, une déconnexion à la vitesse, au brouhaha, aux commentaires de toutes choses ce qui nous permet de nous replonger dans le passé et d’imaginer un tant soit peu la vie des moines résidents. Nous sommes dans l’ici et maintenant, encore un pas de côté et nous tomberions dans le registre de la méditation.

Notre marche en avant reprend. Je reste encore imprégné par cette infusion provoquée par l’ambiance de ce lieu. Il me semble être plus présent à moi-même et aux nouvelles personnes du groupe, aux beaux paysages vallonnés de ces petites Pyrénées. Permettez-moi un conseil voire un souhait : pourquoi, sauf pour le leader qui s’en sert comme GPS, ne pas laisser les portables quelques heures dans la voiture pour parfaire la déconnexion avec la vie courante et recouvrer quelques heures la Liberté ?

Il est 11h30 à notre arrivée à Auzas. En traversant ce bourg de 234 habitants, une pancarte nous signale qu’un illustre spéléologue : Norbert Casteret, y a vécu et y est enterré. 

O miracle, Christine nous déniche un magnifique endroit pour déjeuner. Le groupe investit un banc circulaire au pied d’un splendide saule pleureur. Midi sonne au clocher de l’église Saint-Félix, chacun tire son repas du sac, repos bien mérité à l’ombre, le soleil tape encore dur en cette fin septembre. 

Petite sieste et direction le hameau de Pélegrin, après avoir traversé le ruisseau de Miquelote affluent de la Noue qui baignait Auzas. Toutes ces eaux se jettent dans la Garonne.

Nous avons quitté le sentier de Nankin pour emprunter celui dénommé des Pierres Sèches. Un panneau nous indique 470 m d’altitude, ce n’est pas bien haut mais le dénivelé cumulé sera, finalement, de 370 m. Cette randonnée est classée en sortie marcheur. Permettez-moi un deuxième conseil au vues de la physionomie du groupe. Cette marche d’évaluation nous a permis de constater que nos futurs et sympathiques amis n’ont pas les deux pieds dans le même sabot. Comme Arthur Rimbaud aimait à le rappeler : ce ne sont pas des Assis qui font tresse avec leur siège. Ou encore des « culs de plomb » comme l’entend Nietzsche. Communément, ils en veulent. Les kilomètres et le dénivelé n’ont pas l’air de les impressionner, ils ont du vécu. Il faudra, pour être crédible, ne pas les décevoir et utiliser toutes nos forces en tenant compte de nos faiblesses. 

A force de mettre un pied devant l’autre, l’on finit par terminer la boucle.

 

Nous savons ce que c’est qu’un tronçon qui s’ajoute
Au tronçon déjà fait et ce qu’un kilomètre
Demande de jarret et ce qu’il faut en mettre

Charles Péguy
 

Nous avons une certaine fierté d’avoir réalisé ce parcours, accompli ces efforts, en toute humilité, sans comparaison. Les masques sociaux, les rôles dans la société ont trouvé leurs places, au départ, dans les coffres de voitures à l’endroit des sacs à dos. Il sera toujours temps de les reprendre. Nous avons, seulement été des corps qui avancent sous l’excellent pilotage de Christine et Éric. Un grand merci à eux deux.

La fête n’était pas terminée. Le patron du bar du Pont à Saint-Martory, 77 ans aux fraises, nous joua l’apothéose. Après ce pot de l’amitié et le partage des traditionnelles pâtisseries, merci Dominique, merci Brigitte. Retour sans histoires, mais avec le souci de se revoir sur les chemins, vers Colomiers. Avec vous si vous le souhaitez, vous êtes les bienvenus. 

(*)
Ceuls qui ne partent de l’ostel
Sanz aler en divers pais,
Ne scevent la dolour mortel
Dont gens qui vont sont envahis,
Les maulx, les doubtes, les perilz
Des mers, des fleuves et de pas,
Les langaiges qu’om n’entent pas,
La paine et le traveil des corps ;
Mais combien qu’om soit de ce las,
Il ne scet rien qui ne va hors.

  Eustache Deschamps (1346-1406)